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Entretien avec Zhao Lihong à l'occasion de la sortie de Cheminements de l'écho des poètes

Une œuvre née d’un dialogue entre les cultures

 

Ce livre est né d’un tissage à deux voix : que représente pour vous cette expérience de co-création avec l'éditrice de la Route de la Soie - Éditions ?

Zhao Lihong : La conception, la création et la sélection des textes de ce livre ont représenté une collaboration extrêmement significative. L’idée initiale est née d’une proposition de l’écrivaine et éditrice française Sonia Bressler. En traduisant et lisant mes textes poétiques, elle a imaginé la forme que pourrait prendre cet ouvrage.

Nous avons échangé à de nombreuses reprises : sur la littérature, l’art, l’histoire, le sens de la vie. Nos idées ont souvent résonné en harmonie.

Ce projet est né après la publication en français de mon recueil Métamorphose(s), et il fut pour moi une expérience joyeuse. Cette collaboration témoigne de la possibilité pour les arts et les lettres, au-delà des langues et des cultures, de créer des ponts sensibles et profonds entre les êtres.

 

Ce projet est à la fois une anthologie poétique et une autobiographie intime en filigrane. Avez-vous eu le sentiment de revisiter votre propre cheminement ?

Zhao Lihong : Oui, pleinement. Le livre rassemble des poèmes, des essais, des réflexions intimes, accompagnés de peintures, calligraphies et manuscrits. Il reflète, en fragments, les paysages et les instants qui ont jalonné mon parcours. À travers eux, c’est plus d’un demi-siècle de vie intérieure qui se dessine. Lire et écrire ces textes, c’est à la fois revenir sur soi et contempler le chemin parcouru — en littérature comme en humanité.

 

Comment avez-vous pensé, en écrivant ou en dessinant, aux lecteurs français qui allaient vous découvrir à travers ces pages ?

Zhao Lihong  : À vrai dire, je n’ai pas pensé aux lecteurs français pendant la création. J’écrivais librement, pour exprimer mes émotions, mes réflexions, mes émerveillements. C’est un geste d’écrivain chinois, porté par son époque et sa culture. Mais je suis heureux que ces mots puissent désormais voyager, grâce à la traduction. J’espère que les lecteurs français y reconnaîtront une part d’eux-mêmes, que l’émotion, la pensée, le regard sur la vie puissent résonner en eux.

 

Peindre avec des mots, écouter le monde

 

Vous dites souvent que vous "peignez avec des mots". Que cherchez-vous à révéler à travers cette manière de faire vibrer le monde ?

Zhao Lihong : cette idée est née pendant la Révolution culturelle. Mon rêve de devenir peintre s’était brisé, mais je continuais d’écrire chaque soir, à la lueur d’une lampe à huile. C’est alors que j’ai commencé à « peindre avec des mots » : décrire les paysages, les scènes, les visages vus dans la journée, comme s’ils étaient posés sur une toile. Depuis, je pense qu’un bon texte doit avoir la clarté d’une image, la vivacité d’une scène. Le lecteur doit pouvoir y entendre, voir, ressentir — c’est là, pour moi, le pouvoir de l’écriture.

 

Le dialogue avec les poètes anciens – Wang Wei, Li Bai, Du Fu – traverse l’ouvrage. Que veulent-ils encore nous dire aujourd’hui, à votre avis ?

Zhao Lihong : Leurs vers résonnent au plus profond de ma mémoire. Ce sont des sommets de la langue, de la sensibilité chinoise. Ils ne s’adressaient pas à nous, mais tout ce qu’ils avaient à dire, ils l’ont confié à leurs poèmes. Lorsque nous les lisons aujourd’hui, que nous les murmurons ou les méditons, nous entrons en dialogue silencieux avec eux.

 

Vos textes évoquent aussi les sons célestes, les vibrations du qin, les murmures du vent. Pour vous, qu’est-ce qu’"écouter" le monde ?

Zhao Lihong : Les sons célestes sont partout autour de nous. Certains les perçoivent, d’autres non. Il faut une âme curieuse, sensible, aimante — de la nature, de la vie, de l’existence — pour entendre ces voix du monde. Écouter le monde, c’est percevoir cette beauté invisible qui nous entoure.

 

Vos illustrations prolongent vos textes, ou les précèdent parfois. Quel rôle joue l’image dans votre rapport au réel ?

Zhao Lihong : Je ne suis pas peintre de métier, mais le dessin est un élan naturel chez moi. Parfois, quand j’écris et que les mots ne viennent pas, je dessine dans les marges. D’autres fois, je peins pour moi, dans le silence de mon bureau. Ces gestes font revivre, en moi, les lettrés d’autrefois — même si ce que j’exprime est bien celui d’un écrivain contemporain.

 

Mémoire, lucidité, espérance

 

Vous évoquez avec pudeur des épisodes de votre vie pendant la Révolution culturelle. Est-ce une manière de transmettre sans juger ?

Zhao Lihong : Cette période appartient à mon histoire, comme à celle de mon pays. Je l’ai évoquée dans d’autres textes. Dans ce livre, je me contente d’évoquer la vie à la campagne, lors de ma "réinstallation rurale". Ce furent des années essentielles. Je n’ai pas cherché à juger, mais à témoigner avec sincérité. Et dans la sincérité, il y a déjà un regard.

 

Il y a dans votre écriture une lucidité douce, une capacité à voir le tragique sans renoncer à la beauté. D’où vient, selon vous, cette force intérieure ?

Zhao Lihong : Je crois qu’elle vient des livres. Depuis l’enfance, j’ai lu sans relâche — les classiques chinois, les grandes œuvres du monde. Elles m’ont appris que la littérature doit porter la lumière, même dans l’obscurité. Elle doit offrir de l’espérance. Même en parlant du laid ou du tragique, elle révèle les éclats de l’humanité, le prix de la vie.

 

La nature est omniprésente dans votre œuvre, mais elle n’est jamais figée. Elle semble toujours en dialogue avec l’intime. Est-ce une manière d’écrire aussi votre vie intérieure ?

Zhao Lihong : Oui, tout à fait. La nature est un miroir et un langage. L’ancienne pensée chinoise parle de l’unité du ciel et de l’homme — tian ren he yi. Quand j’écris sur la nature, c’est aussi mon esprit qui s’exprime, mes émotions qui cherchent un paysage pour se dire.

 

Un pont entre les mondes

 

Ce livre est aussi une passerelle culturelle. Qu’aimeriez-vous que les lecteurs français emportent avec eux après avoir refermé ces pages ?

Zhao Lihong : J’aimerais qu’ils aient rencontré un lettré chinois — disons, pas trop ennuyeux — et qu’ils puissent le considérer comme un ami d’esprit. Et, peut-être, qu’ils aient envie d’en découvrir davantage sur la littérature et l’art chinois.

 

Pensez-vous que la poésie soit une forme universelle capable de traverser les frontières culturelles sans perdre sa force ?

Zhao Lihong : Pas toute poésie. Seuls les poèmes sincères, portés par une langue vivante et une pensée profonde, peuvent toucher tous les cœurs. Et pour cela, la traduction est indispensable. Sans elle, la beauté reste enfermée dans sa langue d’origine.

 

À travers cette édition française, avez-vous le sentiment d’ouvrir une nouvelle étape dans votre parcours d’écrivain ?

Zhao Lihong : Chaque livre est un nouveau voyage. Ces traductions permettent aux lecteurs francophones de découvrir une partie de mon univers — une toute petite partie seulement.

Sonia est en train de traduire un recueil d’essais, qui offre une vision plus complète de ma vie et de ma création. J’espère qu’un jour, ce livre aussi verra le jour en France. Car l’essai est une composante essentielle de la littérature contemporaine chinoise, bien que trop peu traduite jusqu’à présent.

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