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Interview avec Roland Giraud à l'occasion de la sortie de son livre Tremblements silencieux

Votre livre s’intitule Tremblements silencieux. Pouvez-vous nous expliquer le choix de ce titre ? Qu’entendez-vous par ces « tremblements » qui restent silencieux ?

Roland Giraud : Les tremblements qui se font en nous, à diverses occasions de la vie, et dont nous ne parlons pas ou peu. Il s’agit de nos réactions intérieures à des évènements qui peuvent parfois sembler relever de la banalité, mais qui nous touchent et s’inscrivent en nous.

 

Les récits du livre semblent s’articuler autour d’instants de vie qui paraissent banals mais qui révèlent des émotions intenses. Pourquoi avoir choisi cette approche narrative ?

 Roland Giraud : Je ne veux surtout pas faire un travail d’analyse qui relèverait d’un ouvrage de psychologie, voire d’une approche philosophique, et qui partirait à la recherche de tous les ressorts qui sont en jeu dans ces « tremblements ». Je choisis simplement une approche littéraire, qui se contente de raconter des évènements, de signaler quelques réactions, mais qui ne prétend pas aller au fond du problème. Par ailleurs, j’espère que cette approche est plus apte à toucher un public que si elle avait une coloration universitaire, toujours plus austère.

 

Il y a une grande diversité d’histoires dans ce recueil, allant de la montagne à des tracas administratifs. Comment avez-vous sélectionné les événements que vous avez décidé de raconter ?

Roland Giraud : J’ai écrit ces textes au fil des années, lorsque j’éprouvais le besoin de les fixer pour moi, d’exprimer dans chaque texte, à propos de chaque évènement, ce qui m’avait touché, secoué. J’ai donc sélectionné les textes qui me parlaient toujours, qui avaient toujours, à mes yeux, une grande force. Avec l’espoir que des lecteurs partageront ces réactions.

 

L’introduction parle de la manière dont nous sommes bousculés par des imprévus. Diriez-vous que l’imprévu est un fil conducteur de ce livre ?

Roland Giraud : Certainement, au sens où je suis parfois surpris par un évènement imprévu qui fait sens pour moi. Je vais donc d’imprévu en imprévu, de surprise en surprise. Qu’elles soient agréables ou pas. Elles me marquent et sont effectivement le fil conducteur de ce livre.

 

À plusieurs reprises, vos personnages font face à des moments de frustration ou de colère intérieure qu’ils taisent. Pourquoi avez-vous choisi d’explorer ces émotions non exprimées ?

Roland Giraud : En réalité, je ne choisis pas vraiment de les explorer, mais plutôt d’en témoigner.  Les explorer serait une autre entreprise, qui me lancerait dans un travail moins coloré et peut-être moins touchant. Et c’est bien parce que je suis touché que j’éprouve le besoin de raconter. Au fond, j’écris ce que mes personnages ne disent pas, qui transformerait leur émotion en colère. Ce qui peut s’écrire a, je l’espère, plus de force que ce qui relèverait de gesticulations orales. J’aime beaucoup que ce qui exprime un malaise ne soit pas souligné. La sobriété est une force, je crois.

 

Votre style oscille entre poésie et prose plus factuelle. Comment trouvez-vous l’équilibre entre ces deux tons dans votre écriture ?

Roland Giraud :  Je me suis longtemps penché sur la question de l’écriture. J’ai, comme tous les auteurs je pense, des influences. J’ai été très impressionné par Charles Bukowski et son écriture au couteau, mais aussi, par l’écriture très classique de Marcel Pagnol. D’une écriture un peu sauvage je suis passé à une écriture plus sobre.  Actuellement, je cultive une écriture aussi simple que possible, mais qui laisse surgir, soudain, une remarque qui touche. Je pense que le plus beau compliment qui m’ait été fait, c’est celui d’un ami comédien qui a dit que mes textes pouvaient paraître banals pendant quelques lignes et que, soudain, sans qu’on s’y attende, on était saisi d’une émotion. Voilà dans quel sens je cherche à écrire.

 

Certains passages évoquent des situations personnelles et intimes. Dans quelle mesure ces histoires sont-elles inspirées de votre propre expérience ?

 Roland Giraud : Ces textes sont surtout autobiographiques, à la marge près que je ne m’interdis pas, bien au contraire, d’en faire des textes qui soient partageables. Peu m’importe le respect fidèle de tel ou tel événement dont je m’empare pour écrire. L’essentiel, c’est que je lui donne une forme qui me semble propre à être lue et appréciée par des lecteurs. Je ne raconte pas ma vie, je témoigne de réactions intérieures à des situations variées, qui, clairement, renvoient à des éléments de ma vie. Soit que je les ai vécus, soit que des personnes de mon entourage me les ai rapportées.

 

Quel a été le plus grand défi dans l’écriture de ce livre ? Y a-t-il un moment où vous avez ressenti des “tremblements silencieux” durant votre propre processus créatif ?

 Roland Giraud : Le plus compliqué a été de me décider à écrire ce livre. J’avais beaucoup de textes disponibles et il a fallu que je fasse le chemin qui m’a permis de donner un sens à cet ensemble. Je crois pouvoir dire que le texte qui m’a fait hésiter le plus, c’est « Moto rouge » dans lequel je parle à la première personne alors que les sentiments de mon personnage ne sont pas très reluisants. Mais j’ai cru bon d’accepter cet aspect.

 La violence est en chacun de nous, même si, heureusement, elle reste enfermée dans une éducation ou une littérature.

  

Avez-vous des habitudes ou des rituels spécifiques lors de l’écriture de récits aussi introspectifs ?

Roland Giraud : Jamais ! Je n’écris que lorsque je suis pris par le désir d’écrire et, alors seulement, je me concentre sur l’écriture. Mais sans aucun rituel. Il m’est arrivé d’écrire sur un ticket de carte bancaire, un ticket de caisse, comme sur mon ordinateur. En général, si je me mets à écrire, c’est que j’ai, depuis longtemps, des textes qui me travaillent, auxquels je pense, mais qui ne sont pas encore prêts à passer la barre. Par contre, je n’arrive à écrire de façon construite que lorsque je suis seul et dans le silence. J’ai besoin d’être très à l’écoute de ce que j’ai à dire pour pouvoir l’écrire. Un texte, c’est toujours un angle à trouver. Et cet angle, il ne peut être, dans mon cas, qu’émotionnel. Tant qu’il ne se présente pas, le texte ne prend pas forme. Je n’essaie même pas de l’écrire.

 

 L’humour est présent même dans des situations qui, à première vue, ne s’y prêtent pas. Quel rôle joue l’humour dans votre œuvre ?

Roland Giraud : J’aime beaucoup que la gravité ne soit pas présentée sous forme de gravité. J’essaie de ne pas trop en rajouter !  Un petit clin d’œil me paraît préférable à un adjectif pathétique !

 

Vous écrivez que « nos regrets deviennent nos amis ». Pensez-vous que les regrets sont une force qui nous fait avancer ou un poids qui nous freine ?

Roland Giraud : Certainement, potentiellement une force. Ils nous rappellent nos faiblesses, nos erreurs, nos manques de courage. Nous pouvons tenter de ne pas nous fabriquer d’autres regrets. Bien entendu, il y a des regrets qui sont liés à des évènements que nous ne pouvions pas maitriser. Mais là encore, réussir à faire un deuil, c’est toujours une force, même si, parfois, c’est très douloureux.

 

Votre livre parle beaucoup du passage du temps et de la manière dont les instants façonnent nos vies. Quelle est votre propre réflexion sur le temps et son impact sur nos émotions ?

Roland Giraud :  Je crois avoir longtemps vécu sans penser au temps. Une amie m’a dit un jour que je vivais comme si j’avais l’éternité devant moi. Je pense qu’elle avait raison, mais que les choses ont évolué aujourd’hui. Il me semble difficile de ne pas penser au temps qui passe, qui nous dépasse. Cela dit, j’ai toujours envie de pouvoir penser que je ne vieillis pas. Pas trop, pas trop vite ! Même si c’est un peu ridicule. Je viens de fêter mes 74 ans sur un sommet de 3000 mètres. J’espère pouvoir faire ça encore pour les 80. Et pourquoi pas ? Peut-être.

 

Les récits dans Tremblements silencieux sont souvent marqués par une forme de solitude ou d’introspection. Pensez-vous que ces moments de solitude sont essentiels pour comprendre les émotions humaines ?

Roland Giraud : J’ai régulièrement envie, ou besoin, je ne sais comment le dire, de me retrouver seul, en, moi-même. Lorsque je marche en montagne, j’adore que personne ne parle, j’adore laisser courir mes pensées ou regarder l’horizon, juste parce que je suis émerveillé. Les émotions que j’éprouve alors sont souvent très fortes.

 

Comment interprétez-vous la manière dont vos personnages réagissent face à l’injustice ou aux frustrations ? Est-ce une réflexion sur la société actuelle ?

Roland Giraud : Je crois que les réactions dont je parle, que je tente de mettre en scène dans ces récits, peuvent donner des orientations critiques sur certains aspects de notre vie en société. Mais je ne me situe jamais dans une position critique analysée, définie, à laquelle on pourrait donner une couleur politique. Je ne suis qu’un personnage qui réagit. Et peut-être que c’est insuffisant, peut-être que ce n’est pas brillant. Mais c’est ainsi. Il y a suffisamment de complexité dans nos vies pour que je ne prétende pas donner de solutions, ou, pire, de leçons. Je me méfie toujours de ceux qui savent comment il faudrait faire pour que le monde ne soit qu’un bonheur.

 

Le silence est très présent dans votre livre. Que représente-t-il pour vous, et comment influe-t-il sur la manière dont nous vivons les émotions profondes ?

Roland Giraud :  Le silence est, pour moi, l’élément du temps suspendu, l’élément qui permet ne pas réagir sans réflexion, l’élément du contrôle de soi. C’est aussi l’élément qui permet de ne pas être pris dans la tourmente d’un monde qui court sans réfléchir, sans comprendre que la vie est n’a d’autre sens que celui qu’on essaie de lui donner. L’élément qui permet de ne pas courir vers un but fantasmatique que l’on prend pour un but essentiel. Je crois qu’il n’y a pas de but obligé, fondamental. A chacun de choisir celui qui lui convient, ceux qui lui conviennent.  Le silence est trop souvent rare. J’aime beaucoup trouver des moments de silence.

 

Quels retours espérez-vous recevoir de vos lecteurs à propos de ce livre ?

Roland Giraud : Je suis toujours heureux qu’un lecteur ait pris le temps de lire ce que j’écris. L’écriture est un partage, un désir de partage, une des tentatives que nous pouvons faire pour sortir de notre solitude radicale. Tout retour qui me montre que ce que j’ai écrit a été compris me réjouira.  Quelle que soit la façon dont cette compréhension s’effectue. Il y a, je crois, plusieurs façons de lire et de comprendre. Ce livre comme tous les livres.

 

Tremblements silencieux est un livre qui peut résonner de manière très personnelle avec chaque lecteur. Comment aimeriez-vous que vos lecteurs se sentent après avoir lu votre ouvrage ?

Roland Giraud :  Je ne peux rien souhaiter de précis sinon que chacun apprécie ce regard sur soi qui se dégage à partir de regards sur le monde. Et peut-être que cette aventure intérieure encourage certains à regarder en eux-mêmes ce qui les marque, les façonne, les dévoile.

 

Pensez-vous déjà à un prochain projet littéraire, dans la continuité ou en rupture avec celui-ci ?

Roland Giraud : Pas vraiment. J’ai toujours quelques tentations qui passent. Quelques traces que je pourrais suivre. Mais rien de précis, rien de calculé. Je reprendrai la plume, que je ne lâche d’ailleurs jamais tout à fait. Mais je n’ai pas d’idée sur ce que j’écrirai, peut-être, un jour pour un prochain livre. Je n’entreprends la rédaction d’un livre que sous la pression d’un besoin intérieur.

 

Avec ce livre, vous explorez des thématiques très humaines et universelles. Avez-vous un message particulier que vous souhaiteriez transmettre à vos lecteurs à travers Tremblements silencieux ?

Roland Giraud : Non, je n’ai de message à transmettre à personne, qui serait le message de quelqu’un qui saurait, qui aurait compris, qui voudrait que d’autres partagent ses convictions. 

Par contre, je serais heureux que le goût de l’intériorité qui se dégage de ce texte captive certains et qu’ils se reconnaissent dans cette façon de regarder le monde qui les entoure. Qu’ils sentent l’importance d’un regard en dedans. Ce qui n’exclut pas les autres possibilités de voir et de sentir le monde.

 

Si vous deviez résumer votre livre en une phrase à vos futurs lecteurs, que leur diriez-vous ?

Roland Giraud : Lorsque je regarde ce qui m’entoure, il m’arrive d’être ému, d’avoir mal, d’être heureux, en colère, triste, surpris : c’est de ces expériences intérieures et souvent tues que parle ce texte.

 

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