Sur Les Infiltrés, on aime gratter sous la surface des choses lisses et bien emballées. Et le yoga, cette pratique millénaire devenue symbole de bien-être globalisé, mérite d’être regardé autrement qu’avec des lunettes roses. À la croisée des philosophies anciennes et des stratégies contemporaines de pouvoir, il est bien plus qu’un simple exercice pour assouplir le corps. La lecture de Yoga Inspiré : Une vision scientifique de Najat Zahid-Méaulle nous a offert un angle inattendu pour explorer ces questions.
Quand le yoga devient une arme douce
Le yoga est une exportation culturelle indienne, mais il ne s’est pas toujours diffusé par le simple attrait de ses bienfaits. Dans son propre pays, cette pratique a été institutionnalisée, normalisée, et instrumentalisée, particulièrement depuis l’arrivée au pouvoir du Bharatiya Janata Party (BJP) de Narendra Modi. Sous l’égide de ce parti, le yoga n’est pas seulement un art de vivre ; il devient un outil géopolitique et identitaire.
L’instauration de la Journée Internationale du Yoga par l’ONU, impulsée par l’Inde en 2014, n’est pas qu’une célébration mondiale de la paix intérieure. C’est aussi une manière pour le pouvoir indien d’associer le yoga à l’image d’un État indien fort et unifié. Cette appropriation nationale d’une pratique autrefois marginale dans les villages et les ashrams soulève des questions : le yoga est-il toujours cet espace de libération individuelle, ou devient-il une plateforme pour des ambitions politiques ?
Ce que dit Yoga Inspiré
Dans son ouvrage, Najat Zahid-Méaulle s’éloigne de ces problématiques pour offrir une exploration scientifique et philosophique du yoga. Elle ne parle pas de pouvoir, mais de physiologie, d’équilibre, et de bien-être. Cependant, en creux, son approche éclaire ce que l’institutionnalisation du yoga pourrait négliger : le respect de la diversité des corps et des esprits. Le yoga, dans sa forme traditionnelle, n’a jamais été un « one-size-fits-all », mais bien une quête individuelle d’harmonie.
Pour Zahid-Méaulle, le yoga n’est pas une marque déposée ni un outil d’hégémonie culturelle. C’est un dialogue entre science et sagesse, une manière de se reconnecter à soi-même à travers des techniques ancrées dans la connaissance du corps et de l’esprit. En cela, elle rappelle une dimension essentielle : le yoga est un outil de réflexion, pas une injonction à la conformité.
Le yoga dans la fabrique d’un soft power
Mais peut-on séparer la pratique personnelle du yoga de ses implications politiques globales ? Les dérives sont nombreuses : uniformisation des styles, exclusion de certains corps jugés « incompatibles », et mise en avant d’un modèle physique standardisé. La popularité du yoga en Occident repose souvent sur une version édulcorée, privant cette discipline de sa richesse originelle pour la transformer en produit consommable.
Le gouvernement indien, lui, a bien compris le potentiel du yoga comme levier de soft power. En le promouvant sur la scène internationale, il réaffirme son rôle de gardien d’une tradition qu’il revendique comme exclusivement indienne. Pourtant, le yoga tel qu’il est pratiqué dans le monde aujourd’hui s’est nourri de multiples influences, de l’Occident aux reformulations modernes des maîtres du XXe siècle. Ce récit d’un yoga pur et indien n’est-il pas une simplification utile, mais trompeuse ?
L’art de la critique subtile
En lisant Yoga Inspiré, on pourrait reprocher à Najat Zahid-Méaulle de ne pas interroger ces dimensions politiques. Mais c’est aussi la force de son ouvrage : il invite à un recentrage. À une époque où le yoga est tour à tour brandi comme un outil de soft power, une industrie lucrative ou une discipline de contrôle social, son livre nous rappelle que cette pratique peut rester un espace intime, une résistance douce au brouhaha du monde.
Pour les lecteurs des Infiltrés, cette réflexion pose une question clé : à qui profite le yoga ? S’il peut être un outil d’émancipation personnelle, il peut aussi, entre des mains peu scrupuleuses, devenir un outil d’aliénation ou de contrôle. La vigilance s’impose. Et la prochaine fois que vous étendrez votre tapis, demandez-vous : pour qui et pourquoi pratiquez-vous vraiment ?
Lien vers l'article : http://infiltres.blogspirit.com/archive/2025/01/16/yoga-un-art-de-vivre-ou-une-politique-du-controle-3369084.html
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