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Interview de Michel Piriou

 Qu’est-ce qui vous a inspiré à écrire sur François Martin de Vitré, un personnage historique relativement méconnu ? Quelle a été votre motivation principale dans la redécouverte de cet aventurier et apothicaire ?

 

Michel Piriou : l’idée d’écrire un livre sur François Martin de Vitré m’est venue alors que j’écrivais « L’âge de piastre ». Mon pharmacien s’intéressait un peu à mes travaux d’écriture et quand je lui ai parlé des conditions de vie à bord d’un vaisseau du XVème siècle, qu’il y avait une mallette à pharmacie, il m’a annoncé avoir fait sa thèse sur un apothicaire de l’époque d’Henri IV,  qui avait de bonnes idées pour se préserver du scorbut et qui avait ouvert la route des Indes aux Français. J’ai fait connaissance avec un héros inconnu de l’Histoire et j’ai commencé à écrire.

 

 

Votre livre explore un pan important de l’histoire maritime française. Comment avez-vous approché la recherche historique pour restituer fidèlement le contexte de l’époque ?

 

Michel Piriou : pour restituer le contexte et le quotidien de l’époque, je me suis plongé dans les archives, et j’ai englouti des thèses d’histoire. Outre celle du pharmacien Pierre Gentil, celle de Guillaume Lelièvre de l’université de Caen sur la course aux épices, d’autres plus anciennes, et celle très détaillée d’un certain François Bayrou qui adule le roi Henri. Enfin, je suis un habitué des archives de la Marine.

 

 

Le métier d’apothicaire est central dans la vie de François Martin, mais également dans l’intrigue du livre. Comment avez-vous articulé son rôle d’aventurier et celui de scientifique dans votre récit ?

 

Michel Piriou : ce qui distingue François Martin des autres personnages de son époque, c’est sa modernité. Il pratique l’observation et l’expérience alors que ses congénères se nourrissent des écrits des Anciens. Il a soif de connaissances, il est curieux de tout, il est méthodique. Il est de cette jeunesse pour qui voyager fait partie de la formation et aller vers l’inconnu est un idéal. François Martin est à la fois marchand et jeune scientifique.

 

 

Le livre évoque un moment charnière dans le développement du commerce maritime, avec l’émergence des grandes compagnies marchandes. Comment percevez-vous l’impact de ces compagnies sur le monde contemporain à travers le prisme de votre récit historique ?

 

Michel Piriou. Le commerce est aussi ancien que l’homme qui n’a sans doute jamais cessé de parcourir la planète. Quand il se dit de manière décourageante dans les médias que l’économie est aujourd’hui mondiale, il suffit de regarder l’Histoire pour comprendre que cela n’est pas une nouveauté. Ceux qui ont découvert le monde ne sont pas de simples aventuriers voire des scientifiques, ce ne sont pas les empereurs et leurs armées, pas même les religions, ce sont les marchands. 

On observe dès le XVème siècle à la fois une accumulation de richesses avec des « financiers » et une organisation européenne élaborée avec des structures d’échanges de capitaux. Au début du XVIIème, les 101 marchands de Londres fondent l’East India Compagny, les Hollandais peuvent acheter des actions de la VOX, les Français de Vitré organisés en Confrérie tentent leur chance avec ceux de St Malo pour lancer deux vaisseaux sur la route des Indes… Ce sont les prémices du capitalisme actuel. Aujourd’hui encore, ceux qui s’essayent à la conquête de l’espace sont des milliardaires.

 

 

L’époque que vous dépeignez est marquée par de nombreux conflits, tant religieux que politiques. Comment avez-vous intégré ces enjeux dans le parcours de François Martin ?

 

Michel Piriou. Quand François Martin arrive à la cour du roi Henri, un couvercle est posé sur les guerres de religion, mais la France est exsangue. Le roi visite les bourgeois des villes à la recherche d’investisseurs. Il encourage le commerce extérieur et plus particulièrement les projets sur la route des épices. Son ministre Sully s’y oppose arguant du fait que la France se suffit à elle-même. Le roi peut toujours compter sur ses soutiens de tous temps, marchands protestants de France et de Hollande. Ce contexte est primordial dans l’ascension de François Martin. Il va se retrouver au cœur d’enjeux économiques et politiques européens.

 

 

Le protestantisme et les guerres de religion sont des thèmes récurrents dans le livre. Comment ces éléments façonnent-ils la société dans laquelle évolue François Martin ?

 

En réalité, cette affaire de religion sert les appétits de la noblesse qui se heurte au pouvoir grandissant de l’État monarchique. A Vitré, il y a un temple très prisé de la grande et de la petite noblesse, on vient pour les baptêmes et les mariages. C’est très chic mais cela coûtera un siège de huit mois à la cité. Cependant ici, 90% de la population se voue au culte de Notre Dame. François Martin est issu de ces riches familles qui tiennent à garder l’usage de donner des prénoms de saint à leurs enfants.

Quoiqu’il en soit, marchands catholiques ou marchands protestants, l’essentiel est de faire des affaires. 

 

 

François Martin est présenté à la fois comme un homme d’aventure et un esprit scientifique. Comment avez-vous construit ce personnage pour rendre compte de cette dualité ?

 

François Martin a fait ses études à l’université moderne de Montpellier. Il a l’usage de l’écrit. Il prend note de ses observations et de ses expériences, il propose des solutions aux problématiques médicales. Quand Henri IV lui demande d’écrire pour convaincre les investisseurs français de se lancer dans la course aux épices, il ajoute sa thèse pour lutter contre le scorbut. Il veut rassurer, montrer que la science permet de maitriser une partie de l’inconnu.

Les héros de la jeunesse de cette bourgeoisie, ce sont ces hommes qui partent au loin découvrir le monde et ses richesses. Il existe déjà quelques livres qui rendent compte d’aventure comme celle du fameux Marco Polo. Pierre-Olivier Malherbe, le premier Français à avoir fait le tour du monde est de Vitré.

Quand son entourage décide de courir vers les Indes orientales, on fait appel à sa connaissance des épices en tant qu’apothicaire. Il est embarqué comme chirurgien.

 

 

Le personnage de François Martin semble jouer un rôle clé dans la fondation de la Compagnie des Indes orientales. Pourquoi était-il important pour vous de lier son parcours à cet événement majeur du commerce français ?

 

François Martin est l’un des rares rescapés de l’expédition française de 1600. Alors que ses compagnons s’effondrent à leur retour au pays, lui parle de l’aventure passionnément. Il est le seul à en parler, et il en parle avec détails, avec brio, avec fougue. On l’invite à la cour, c’est un héros national. Henri fait de cet illustre « Jason des mers » le vecteur de sa propagande pour concurrencer les Anglais et les Hollandais sur les mers.

A son retour au pays, il a gagné en autorité. On lui fait confiance pour investir dans de nouveaux projets, on recherche son expertise, et il prend du poids politique dans la ville de France la plus emblématique du commerce mondial.

 

 

Des figures secondaires comme Étienne Martin ou Charlotte apportent une dimension intime à l’histoire. Quelle place vouliez-vous accorder à ces personnages dans l’arc narratif principal ?

 

J’avais assez de contenu dans les archives pour reconstituer le quotidien de l’époque. J’ai pu restituer la vie familiale de François Martin et ses relations avec les marchands du commerce international. De quoi dessiner quelques portraits, quelques pouvoirs, les concurrences et les alliances. Il est clair que ce jeune apothicaire était entouré de personnages d’exception dans sa famille. Sa mère et son épouse était des personnalités de la ville. Son entourage influent depuis Cadix jusqu’à Amsterdam.

 

 

Votre style est à la fois descriptif et très immersif, notamment en ce qui concerne les détails de la vie quotidienne au XVIesiècle. Était-ce une volonté de votre part de plonger le lecteur dans une reconstitution historique minutieuse ?

 

Il me semble que c’est dans le détail que se construit l’instant de vie, la crédibilité d’une peinture. C’est une époque qui connait des épisodes de famine et de peste, on parle de fin du monde, Nostradamus annonce l’Apocalypse. Seules, les villes ont les moyens de résister. Cette bourgeoisie est encore assez attachée à une certaine forme d’hygiène. Tous les établissements de bains publics n’ont pas encore été fermés sous la pression religieuse. Les apothicaires font leur chiffre d’affaire avec la cosmétique et le soin du corps. C’est état d’esprit va disparaître pendant le XVIIème siècle, Louis XIV ne prendra que deux bains dans sa vie. Des scènes domestiques sont assez faciles à imaginer, des moments du quotidiens qui complètent le contexte général, contribue à mieux cerner certains personnages.

 

 

Vous faites régulièrement référence aux écrits d’historiens et à des sources d’archives. Comment avez-vous concilié la rigueur historique avec la liberté créative nécessaire à la fiction ?

 

Ce sont les détails péchés dans les archives qui nourrissent mon imaginaire. Par exemple, la notion de temps est complètement différente de la nôtre, il faut trois jours à un attelage pour joindre Vitré à St Malo. François ira faire ses études à Montpellier, l’autre bout de la France c’est l’autre bout d’un monde. Malherbe a mis 27 ans pour faire le tour de la planète. Toutes ces différences avec le mode de vie d’aujourd’hui est propice à la création narrative.

 

Le ton du livre oscille entre la narration historique et l’aventure. Comment avez-vous trouvé cet équilibre entre les faits et l’imaginaire ?

 

À cette époque, joindre Vitré à Montpellier est une aventure. Endurer l’hiver, espérer le printemps pour manger des fruits, vaincre ou résister à la maladie, accoucher, mourir est de l’ordre de l’aventure. Parce qu’ils ont le même cerveau que nous avec ses espérances, ses peurs et ses troubles, les braves gens des villes, et bien plus encore ceux des campagnes, vivent des épreuves et des aventures dans les détails de leur vie.

 

Combien de temps avez-vous consacré à la recherche et à l’écriture de ce livre ? Y a-t-il des moments où l’histoire de François Martin vous a particulièrement surpris ?

 

J’ai commencé à travailler dans les archives alors que je n’avais pas encore terminé « L’âge de piastre ». L’impatience de la plume ! Je ne sais pas pourquoi mais cela ne me gène pas de mener plusieurs projets d’écriture dans le même temps. Il m’arrive de résoudre un problèmes d’écriture dans un texte en travaillant sur un autre. Je peux dire que j’ai passé plus de deux ans sur le récit de François Martin.

Au début, j’écrivais pour un héros de l’Histoire. Et puis, plus je cernais le personnage plus il s’apparentait aux « capitaines d’industrie » d’aujourd’hui : communicant, affairiste, politicien… Lui, le fils d’une famille de cadet, aura sa place parmi les plus riches de la ville, il aura sa maison, son domaine et se donnera de la particule : François Martin de Vitré, sieur de la Ricordais. Je reste « indulgent » avec François Martin parce qu’il m’a offert un personnage de roman.

 

La rédaction d’un ouvrage historique exige une attention particulière aux détails. Quels ont été les principaux défis que vous avez rencontrés dans l’élaboration de ce récit ?

 

Il me faut parler ici davantage de chance que de défi. Les archives sont très fournies, très détaillées. Pour la ville de Vitré par exemple, il est facile de distinguer la position économique, la puissance de chaque famille de marchand. Il y a des délibérations communales ou des comptes rendus de réunions selon les professions, tout est consigné par écrit. On s’applique à développer le contexte de chaque décision, aussi j’ai trouvé toutes sortes d’anecdotes.

Deux siècles avant la révolution de 1789, on observe les prémices de la prise de pouvoir de la bourgeoisie sur l’économie de l’tat et de ses institutions.

 

 

Le contexte économique et politique est complexe, notamment avec l’interaction des grandes puissances de l’époque. Avez-vous rencontré des difficultés à synthétiser ces éléments dans une narration fluide ?

 

Le contexte économique et politique de cette époque ne me semble pas plus compliqué qu’aujourd’hui. Des personnalités influentes œuvrent dans l’ombre pour s’accaparer des « empires économiques » ! Le petit seigneur De Moucheron, propriétaire de la plus grosse flotte commerciale de Hollande, est assez riche pour prêter au roi. De l’argent qu’il ne reverra sans doute jamais.

 

 

Quels retours espérez-vous recevoir de vos lecteurs concernant ce roman historique ? Y a-t-il un message ou une réflexion particulière que vous souhaitez qu’ils retiennent après lecture ?

 

L’Histoire est différente selon qu’elle est racontée par le lion ou le chasseur. Celle du gibier agit comme une loupe qui grossit tout avec le temps, les évènements et leurs conséquences. Elle nous permet de prendre du recul avec ce qu’on vit dans le présent, de comprendre et d’agir sur le monde.

 

Pensez-vous écrire d’autres ouvrages centrés sur des figures historiques méconnues, à l’image de François Martin de Vitré ?

 

J’ai toujours plusieurs projets d’écriture en mijotage. Quelque fois, l’un d’entre eux prend le pas sur les autres, il me donne l’espoir d’aboutir… Puis, il reprend sa place parmi les autres. Puis le ciel s’éclaircit…

 

 Travaillez-vous sur de nouveaux projets ? Avez-vous l’intention de continuer à explorer l’histoire maritime dans vos futurs livres ?

 

Là, je m’intéresse à la transformation de la péninsule armoricaine en cette Bretagne que nous connaissons aujourd’hui. C’est l’œuvre d’hommes qui ont vécu entre le IVème et le VIIème siècle. Je me heurte à la pauvreté et le peu de fiabilité des archives ! Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la Manche qui sépare la France de l’Angleterre, l’Armor Breiz, fut le lien principal entre les populations des deux rives. On construisait des bateaux de bois et de cuir. Á propos des Vénètes par exemple, César parle d’une véritable flotte commerciale. 

Cette évolution dans l’Histoire de ma région est le fruit de l’invasion de cette partie de la Gaule par les Britton.

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