· 

Interview d'Ophélie Grevet

> Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire Et le ciel était à moitié bleu ?

 

Une seule inspiration, l’amour maternel ! Le plus beau, le plus grand, le plus vital. 

 

> Quelle a été votre principale motivation pour raconter cette histoire ? 

 

La violence administrative qui brise le cœur des petiots, arrachés à leur famille. La destruction des repères. La peur des coups. La maltraitance qui jette aux orties la tendresse et les devenirs enfantins. Dans un monde idéal, le mot « orphelin »n’existerait plus. Le jour où il tombera en désuétude, faute d’enfants tristes, l’humanité aura vraiment progressé.    

 

> Le prologue est très poétique et introspectif. Pouvez-vous nous parler de votre processus de réflexion en l’écrivant ? 

 

Lors de la rédaction du livre, j’ai essayé de ne pas perdre de vue ses promesses azuréennes. Chacun peut inscrire dans le bleu du Ciel ce qui l’enchante. L’amour. Les rêves. L’espérance, après la rage… le goût sauvage de vivre ! L’écriture s’arrime à un acte choisi, volontaire, universel. Dans l’absolu, elle se jette à l’eau. Le style chemine dans les traces obscures de Genet, l’orphelin, ou de Jean de la Croix, le mystique ; deux auteurs que l’enfermement n’engloutira qu’à moitié. Le noir tombe, comme un rideau de théâtre ! La scène se vide, mais le cœur du texte bat toujours. Il s’échappe, prend la tangente, emprunte des raccourcis. Chaque spectateur peut l’emporter avec lui, il respire encore. La poésie, à mon sens, est indissociable de la dramaturgie. Ce sont des sœurs jumelles, elles font jongler les mots. Les Cantiques partent du ventre, les vers de Racine aussi. Le souffle, en somme. Ici, le prologue répond à la spontanéité. Il a pris forme sur la frise de mon enfance écartelée, coupée du monde. 

 

> Votre style d’écriture est à la fois poétique et poignant. Quels auteurs ou œuvres ont influencé votre style ? 

 

La peinture s’invite dans tous mes textes. Un compagnonnage que je nomme l’essor. Dans un tableau, chaque couleur compte. Le clair-obscur d’un Caravage surgit. Il vous tape dans l’œil. La sérénité des paysages de Berthe Morisot m’émeut. Je rêve d’écrire comme on peint. Et aussi, quand tout va de travers, j’ouvre « La mort de la phalène » de Virginia Woolf… dans ses nouvelles, la douceur triomphe. 

 

> Comment avez-vous équilibré les éléments autobiographiques et fictifs dans le récit ?

 

Il s’agissait de trouver un accord entre moi, l’auteure, et la fillette, qui témoigne. Le vécu se présente comme une matière rebelle à travailler. Avant d’entrer dans un rôle, Andréas Voutzinas nous incitait à fabriquer le passé de nos personnages. Un exercice passionnant. Tout ce que Anton Tchekhov n’avait pas écrit, sur l’enfance de Nina, par exemple, devait servir notre interprétation. La méthode de l’Actors Studio pousse les comédiens à débusquer les non-dits d’un auteur. Aller au-delà… Transgresser les limites. Apprivoiser la lumière. Ne pas surjouer. Dès lors qu’un récit emprunte la voix de l’autofiction, le risque de se brûler les ailes existe. Métaphore du feu sacré. Je réduis en cendres mon autoportrait sous un crucifix. L’équilibre dans un récit s’acquiert à pas de loup ; il doit dépasser le cri ! N’en doutez pas, la littérature change le plomb en or ! Même si, au bout du compte, seul le lecteur en sort indemne.  

 

> Le livre se déroule dans une ville bretonne bourgeoise des années 60. Pourquoi avez-vous choisi ce cadre spécifique ? 

 

Parce que l’action se situe dans cette région. Ma hantise des portes closes vient de là-bas. Enfermez un chiot gentil dans une cage, et relâchez-le après des années… La Bretagne m’a marquée au fer rouge des galoches et de l’endoctrinement religieux. Ses orphelins ont tous été estampillés sous l’étiquette des « moutons noirs ». Sous des cieux bretonnants, la messe est dite. Autant de larmes, autant de pluie, qui font jaser les grenouilles de bénitiers ! Pour retranscrire les credo muets et perméables des éléments, que « Les quatre saisons » de Vivaldi exorcisent, ce décor bien connu des labourés mouillés s’est naturellement imposé.   

 

> Comment avez-vous abordé les questions de classe sociale et de religion dans votre livre ?

 

Sur une fratrie de quatre enfants, les trois aînés, de 5, 4 et 3 ans, ont été placés d’office par les services sociaux dans un orphelinat. Destination, une institution bretonne catholique qui œuvrait à une trentaine de verstes de la communauté de monseigneur Lefèvre. Je viens d’un milieu aisé, un grand-père médecin, l’autre restaurateur d’églises. Pendant cinq ans, les nonnes m’ont abreuvée de bondieuseries. Un paradoxe dur à avaler. Elles nous enseignaient l’amour divin, qui ne pesait pas lourd en comparaison de notre soif d’amour maternel. Le choc s’est révélé frontal, brutal, anormal. Un placement non argumenté dans un orphelinat vous condamne à une vie bancale, truffée d’échecs. Quant à cette adéquation entre religion et éducation, qui fut professée, au nom du droit chemin, en martelant l’âme et le développement de jeunes cerveaux, elle s’avéra toxique pour nombre d’entre nous. La confiance en soi se trouve à jamais sabordée. Dans son roman, Les Exclus, Elfriede Jelinek décrit la violence d’une bande d’adolescents, que Rainer, leur chef exalté narcissique, veut entraîner dans un bain de sang. Que retenir de la ronde infernale de l’humanité ? Les démons sont-ils devenus une espèce en voie de reproduction ? 

 

> À quel point vos propres expériences ont-elles influencé les événements et les personnages de Et le ciel était à moitié bleu ? Quel a été le moment le plus difficile à écrire dans ce livre, émotionnellement parlant ?

 

La séparation. L’arrachement des bras de ma fée. Et le baiser forcé au garçonnet mort…

 

> Quels messages espérez-vous transmettre aux lecteurs à travers ce livre ? 

 

En 1943, Le Petit Prince adresse un souhait à l’aviateur Antoine de Saint-Exupéry : « S’il vous plaît… dessine-moi un mouton ! » Quatre-vingts ans après, en 2024, des enfants placés se suicident. Une société qui ne protège pas ses enfants régresse ; elle va à l’encontre de ses idéaux. Écoutons cette phrase, lancée dans une haie de ronces, par Yvette Szczupak-Thomas, dans son Diamant brut « De façon sous-jacente, mon plaidoyer propose : société, institutions, parents de sang ou non, ne saccagez plus les floraisons printanières ! »

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0