«Le Cri de la Perse»: l’art poétique selon Tahoura Tabatabai-Vergnet
La Franco-Iranienne Tahoura Tabatabaï-Vergnet livre avec son second recueil de poésies un volume inspiré de l’histoire et des turbulences que traverse son pays natal. Entre célébration et dénonciation.
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« Je n’écris pas de la poésie, c’est la poésie qui m’écrit », aime à répéter la Franco-Iranienne Tahoura Tabatabaï-Vergnet. Tahoura est l’auteure de deux recueils de poésies, aux titres aussi évocateurs que ludiques : Ma Peau aime, paru en 2021 aux éditions La Route de la Soie et Le Cri de la Perse, publié plus récemment. Deux recueils qui frappent par leur spontanéité, le mélange de la nostalgie et de l’espoir, à l’image de la dédicace figurant sur la page de garde de son dernier livre publié : « A mes anciennes, actuelles et futures racines ».
Les poèmes de Tahoura sont avant tout des invitations au voyage, avec pour destination le lointain ailleurs, mais aussi le for intérieur, comme le laisse entendre le poème d'ouverture de son nouveau recueil : « Cher ami de la Poésie / Toi qui te penches là, sur mon recueil, alors que je m'épanche sur mes deuils , / ferme les yeux, lis avec le coeur juste un moment,/ regarde, cherche au plus profond de tes tourments.»
Cher ami de la Poésie / Toi qui te penches là, sur mon recueil, alors que je m'épanche sur mes deuils...
Fière du succès d’estime mais aussi de librairie que connaissent ses anthologies dont les textes sont à lire et à écouter en français mais aussi en persan, Tahoura aime à rappeler que son goût pour la poésie vient de loin. Née en Iran, mais installée en France depuis l’éclatement de la révolution islamique en 1979, la cinquantenaire garde le souvenir d’une enfance baignée dans le lyrisme et l’imagination poétique. C’est ce qu’elle proclame dans son nouveau recueil : « Je viens d’un pays où le chant du rossignol/ te montre le chemin,/ et le parfum de la rose, c’est l’odeur de sa main/ Je viens d’un pays où tu te reconstruis grâce au Divan/ et non pas comme ailleurs sur un divan !/ Je viens d’un pays où la poésie est au-dessus de tout/ Le fil d’Ariane entre ces enfants dispersés partout. »
Je viens d’un pays où le chant du rossignol te montre le chemin...
La Perse immémorielle
On l’aura compris, ce pays que la poétesse célèbre, c’est la Perse immémorielle, patrie de la poésie et du lyrisme. Depuis des temps anciens, les poètes y chantent la vie, la mort, l’amour, la perte, ainsi que les tumultes et l’extase de la spiritualité mystique, à travers des schémas de rimes complexes, des métaphores entrées dans la langue courante et des phrasés au rythme saisissant. Rares sont les familles de Téhéran ou d’Ispahan qui ne se targuent pas de disposer dans leur bibliothèque un exemplaire du Shâh Nâmeh, le célèbre Livre des rois, le poème épique de Ferdowsi datant du Xe siècle. Enfants et adolescents y grandissent en lisant et récitant des rubaïyat de Khayyam, les vers de Hafiz et de Rumi.
« Mon enfance n’a pas dérogé à la règle », confie l’auteure du Cri de la Perse. « A l’âge de 3 ans, on me faisait déclamer devant des moindres invités des vers de Khayyam et d’autres grands poètes du canon persan. Et moi, friande des applaudissements, j’obtempérais avec alacrité. » Devoir quitter l’Iran à l’adolescence alors que la révolution grondait dans les faubourgs de Téhéran, menaçant d’engloutir son pays, sa terre natale, ses racines et les êtres aimés, fut la première grande tragédie de la vie de Tahoura Tabatabaï-Vergnet.
Plusieurs poèmes de son dernier recueil racontent avec nostalgie et douleur les circonstances de son départ brutal du pays, le déchirement mais aussi la joie de renaître dans une terre lointaine. Elle a appris le français à 11 ans, apprenant à aimer la riche culture de son pays d'adoption, sa fécondité intellectuelle, sa grande poésie dans les pages desquelles s’étalent le goût du spleen et l’amour démesuré de la liberté. « Oh ! Quelle chance ! Je suis bénie des dieux. Le destin m’a donné deux pays merveilleux… », s’exclame la poétesse.
Entre spleen et nostalgie
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Je m'abonneLe Spleen de Paris et la nostalgie des montagnes de l’Alborz et du Zagros se mêlent dans les pages du Cri de la Perse. Ce recueil compte une trentaine de poèmes, organisés selon des thèmes, qui vont de la nostalgie du pays natal (« Je viens d’un pays ») au désespoir de la femme iranienne (« Je suis le visage du désespoir »), en passant par l’évocation des douleurs de la vie (« Je suis une poupée cassé »), le déclassement (« L’hommage au courage »), l’identité persane (« La Fleur de Perse » ou encore « Je suis la fille de Cyrus le Grand »).
Je suis la fille de Cyrus le Grand / Je suis la fille d'Artémis...
À nul autre pareil, le nouveau recueil de Tahoura Tabatabaï-Vergnet fait résonner la douleur et le bonheur. Ses poèmes ont été inspirés par les circonstances douloureuses de sa vie personnelle, mais aussi par l’Histoire millénaire de son pays ainsi que ses circonvolutions actuelles, représentées par le soulèvement contemporain des Iraniennes célébrant « Femme, vie, liberté ». La question brûlante de la condition féminine dans le monde iranien occupe plusieurs pages du livre de Tahoura.
Enfin, Le Cri de la Perse, tout comme son prédécesseur et le troisième et le quatrième recueils qui attendent dans les tiroirs du bureau de l’auteure, selon les confidences de la poétesse, se veulent des réponses au silence qui l’a accueillie lorsqu’elle a marché pour la première fois dans les rues de Paris, en débarquant dans la Ville-lumière dans les années 1970. « En arrivant de mon Iran natal où la poésie flotte dans l’air, cheminant à travers les foules des villes, quelle ne fut ma déception de ne pas entendre les échos de Hugo, de Baudelaire ou encore d’Aragon dans les rues de Paris, se souvient Tahoura. A cinquante ans passés, si j’ai renoué avec mon premier amour, la poésie, c’est pour mieux partager avec les Parisiens, à travers mes vers teintés du bleu d’Ispahan et qui sentent les roses de Kashan, ce goût d’ailleurs et cette solidarité entre vivants que dit la poésie mieux que toute autre forme d’expression. »
Pour l’incomparable Tahoura Tabatabaï-Vignet, la poésie demeure, ici comme ailleurs, à Téhéran comme à Paris, le fil d’Ariane qui nous permet de nous retrouver dans les labyrinthes de la vie !
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