L’été de toutes les philosophes – Coin lecture
Toute l’année, je vous propose régulièrement un éventail de lectures. Il semble qu’avec la chaleur, celui-ci soit de bonne augure ! S’aérer l’esprit vaut autant que le rafraîchissement du corps. Exceptionnellement, cet éventail se fera en deux temps. Il paraît que « choisir, c’est abandonner » ! Alors pourquoi choisir ? Prenons tout, tout de suite et n’abandonnons aucuns sujets, même ceux qui fâchent, bousculent, remettent les pendules à l’heure, osent la discussion.
Commençons par une simple question : la philosophie a-t-elle un sexe ? Posée comme ça, la question est étrange. La Philosophie est un nom féminin, mais elle est associée aux philosophes masculins sauf rares exceptions. Les femmes étaient-elles absentes des cercles de cogitations jusqu’au XXème siècle ? N’avaient-elles aucune appétence pour la philosophie, la réflexion ni même les études ou étaient-elles privées de philosophie parce que femmes ? Si vous avez apprécié L’homme préhistorique est aussi une femme (Marylène Patou-Mathis), vous allez adorer La barbe ne fait pas le philosophe, les femmes philosophes en France (1880-1949) d’Annabelle Bonnet (Cnrs Editions).
Le moins que l’on puisse dire est que cette lecture est à la fois salutaire pour toute l’Histoire de la philosophie mais elle est aussi essentielle afin de remettre les femmes au centre du sujet de la réflexion ! Après avoir été assassinées (Hypatie d’Alexandrie), oubliées (Christine de Pizan), disséquées (Clémence Royer) parce que Femmes-philosophes, autant dire qu’elles n’ont pas dit leur dernier mot et nous non plus. Dans cette sociohistoire de la philosophie au féminin nous découvrons un monde fait de lois interdisant l’enseignement et l’accès de la philosophie aux femmes qui préfigure tous les combats des post Weil, de Beauvoir, Arendt etc. Au-delà de tout féminisme il s’agit ici de redonner à Cléopâtre ce qui est à Cléopâtre !
Dans le même ordre d’idées, Toutes pour la musique de Chloé Thibaud (Ed. Hugo et Image) est un ouvrage complet sur le combat des femmes dans la musique et au-delà pour faire valoir leurs paroles, leurs talents de musiciennes, de chanteuses, de compositrices dans un milieu à la fois masculin et misogyne.
L’auteure aborde l’histoire de la musique, les revendications, les comportements au travers de documents, photos, interviews. Saviez-vous que la première référence faite au « Rock » est chantée par Trixie Smith en 1922 ? Que Sister Rosetta Tharpe est l’inventrice du Rock’n’Roll bien avant Elvis Presley ? Elle fut la première à utiliser une guitare électrique en lieu et place d’une guitare sèche. Du danger de leur voix supposée envoûtante aux revendications de l’émancipation politisée contre les discriminations, les femmes dans la musique ont toujours su avec force et ténacité exploser les codes de cette vision imposée de « pauvres petites poupées vulnérables et muettes » (Clara Luciani) que l’univers du disque a mis en place pendant des décennies. Dans cet ouvrage, « la grenade » leur explose à la figure pour le bonheur de toutes et de tous !
Il n’y a pas qu’avec des livres qu’on peut trouver un air de fraîcheur en cette période estivale, dans les revues et les magazines aussi. Dans la série « Les Grands Dossiers », le Magazine Sciences Humaines consacre un numéro entier aux femmes, aux Grandes Penseuses, de l’antiquité à nos jours. Toutes les sciences y compris humaines sont abordées : mathématiques, sociologie, anthropologie, philosophie, psychologie, psychanalyse etc. Toutes les sciences sont passées au crible avec comme fil conducteur un entretien passionnant de l’historienne, Professeure Emérite Michelle Perrot (Le Temps des féminismes, Grasset).
Au registre des revues, il en est une qui vaut sacrément le détour ! Diplômées est une revue de l’AFFDU (Association Française des Femmes Diplômées des Universités, créée en 1920) qui publie pour chaque numéro différents articles sur une thématique unique. Par ces temps de guerres, d’incertitudes, d’avancées technologiques, réfléchir aux enjeux qui convoquent le passé, le présent et plus encore l’avenir mérite toute notre attention. Artistes, psychologues, anthropologues, chercheuses et tant d’autres femmes encore collaborent à chaque numéro publié. Le N°282-283 La Paix (Editions La Route de la Soie) est enfin disponible. A noter que le numéro suivant portera sur Le Bonheur ! Tout un programme.
Dans Histoire de l’inégalité entre les femmes et les hommes (Ed. La Route de la Soie), Anne Bergheim-Nègre avocate et Docteure en Droit, revient avec force et précisions sur les cheminements historiques et intellectuels ayant abouti à l’inégalité entre les sexes. Au travers de la construction et de l’évolution du droit et de la législation, l’auteure propose d’examiner les raisons qui ont permis ces inégalités d’exister et remet en perspective les avancées qui ont été faites ou sont encore à l’œuvre en matière d’égalité de droit et de fait en Europe et dans le monde. Même s’il reste un long chemin à parcourir, celui de la liberté semble emprunté. Espérons qu’il sera moins pénible et sinueux à l’avenir.
Dans cette deuxième partie de cette chronique de bonnes lectures, je vais aborder tout ce qui peut aider à penser, réfléchir, se questionner et se détendre pour prendre une distance certaine sur les mouvements du monde tel qu’il est. L’été et les vacances sont aussi faits pour prendre du recul sur une année faite de débats immédiats, de considérations à l’emporte-pièce, de querelles sans fond ni fin. Pour creuser un sujet, il faut un zest de pertinence, une pincée de bonnes questions, une bonne cuillère à soupe d’expertise et des kilos de belles feuilles. Pour l’ingrédient secret, le stoïcisme terminera la recette.
Dans Le wokisme serait-il un totalitarisme ? (Ed. Albin Michel) Nathalie Heinich, sociologue au CNRS, pose les questions qui fâchent. En expliquant que le wokisme est un mouvement réflexif qui, à ses débuts, est « pavé de bonnes intentions », l’auteure expose de façon précise comment un combat contre les discriminations, le sexisme, l’amnésie historique invite certains à obtenir le contraire de la nécessité souhaitée. En d’autres termes, comment en luttant contre l’exclusion on peut en arriver à devenir excluant. Cet ouvrage ouvre le débat sur ce que doit et peut être un combat, ce vers quoi il peut mener s’il est ignoré et/ou dévoyé. Une révolution des mentalités est souhaitable contre les inégalités, mais faut-il se rappeler sans doute qu’après toute révolution il existe une période trouble. Souhaitons-nous de dépasser cette dernière sans encombre.
Je parlais de la Revue Diplômées dont le thème du dernier numéro était la paix. Dans l’ouvrage Peut-on juger Poutine ? (Ed. Albin Michel) Nathalie Philip-Gay, professeure en droit public évoque la complexité de « rendre justice » après des crimes de guerre et de déterminer la ou les responsabilités des chefs d’Etats. Il existe déjà le TPI mais la création d’un tribunal spécial qui serait dans la possibilité de juger V. Poutine est à l’étude. Les recours juridiques donneraient la possibilité de traduire en justice les dictateurs eux-mêmes et pas seulement leurs hérauts. Un ouvrage clair qui permet d’aborder avec recul les méandres du droit face aux « lois de la guerre » qui n’en sont pas.
Comment penser l’IA ? Voici une question que la guerre ne se pose pas mais que Sonia Bressler décortique, analyse avec le regard de la philosophe et de l’épistémologue qui la caractérise. Dans Data-Philosophie (Ed. La Route de la Soie) c’est une éthique de l’Intelligence Artificielle et des implications sociales et sociétales qui mène la réflexion. Comment la loi peut encadrer l’IA ou tout du moins ceux qui l’utilisent, la façonnent et dont le contenu semble échapper à tout humanisme, pondération, neutralité ? La révolution numérique aboutirait-elle à une terreur si elle ne pouvait être contrôlée dans l’avenir ? Afin de créer une société de demain qui puisse « naviguer » en toute sécurité et esprit critique, Sonia Bressler milite pour l’enseignement de la Data-Philosophie dans les cursus universitaires. Il pourrait en être de même dans toute les écoles de France. L’Éthique reste un enjeu majeur pour les générations futures, la philosophie peut aider à faire de celui-ci un horizon dépassable.
Afin de parfaire votre pile de lecture, terminons par un roman et un bijou de philosophie. Jean-Christophe Eon vous propose d’accompagner L’Errance d’Orphée (Ed. JM Savary). Un voyage romanesque en Grèce, des personnages dont on ne sait pas s’ils sont réels ou issus de l’imaginaire d’un homme dont on ne sait pas grand-chose. Poétique, déjanté, allégorique, ce roman vous fera traverser une histoire dans l’histoire où la question qui se pose est de savoir si renoncer est une preuve d’amour. Les anges de Wim Wenders ne sont pas loin.
Enfin, revenons à l’essentiel. Le stoïcisme est une belle philosophie, celle d’accepter ce sur quoi nous ne pouvons agir. Dans Au cœur de la philosophie éternelle (Ed. JM Savary), Christian Vanlierde a regroupé certains aphorismes de Marc Aurèle afin d’en présenter un Manuel. Ces extraits des Pensées pour moi-même forment un tout qui permet au lecteur de méditer jour après jour comme le faisait les stoïciens sous la stoa. En dressant ces pensées de vie, Christian Vanlierde nous invite à une réflexion où le temps long s’oppose à l’immédiateté du monde actuel. L’auteur poursuit par un petit texte inspiré du « Tableau de la vie » de Cébès rebaptisé pour l’occasion Tableau de la vie Humaine, une nouvelle philosophique, allégorique et fantastique. Une belle respiration pour une Pause Philo bien méritée.
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